Face à la crise
Le secteur associatif, un moteur d’innovations.
La crise sanitaire que le monde traverse depuis plus d’un an a bouleversé les manières de travailler, d’échanger, de s’épauler… Le secteur de l’accompagnement médico-social a été tout particulièrement impacté tant les interactions, les rencontres, le travail de terrain et de proximité y sont centraux. Pourtant, les associations ont su innover pour assurer aux familles accompagnées des services souvent vitaux. À la clef, la création de nouveaux outils, mais aussi de nouvelles solidarités. Illustration avec l’Adages au sein des Services d’Intervention Éducative à Domicile (IED) de Montpellier et du Service d’Observation et d’Action Éducative de Béziers.
PAR ISADORA SANCHEZ ET OLIVIER VAN CAEMERBEKE
L‘Espace Famille de l’association Adages est situé dans le quartier Croix d’Argent à Montpellier. Les locaux sont assez modernes, lumineux mais surtout, ils sont installés au cœur des immeubles HLM de ce quartier populaire et animé. L’espace est très accessible aux publics souvent fragilisés qu’il accueille.
La structure propose une plate-forme de services d’accompagnement aux familles en difficultés éducatives, conjugales ou familiales. Il compte une crèche multi-accueil à horaires atypiques, un service IED, un relais parental, des centres socioculturels, un “Espace de Vie Sociale”, un service de Médiation Familiale… Une fois passé le grand hall, les différents bureaux laissent entrevoir les salariés – le plus souvent des femmes – à l’œuvre. Ici, les contraintes sanitaires n’ont pas freiné l’engagement. Dans cette ruche qui s’active dans le calme, le Service d’Intervention Éducative à Domicile (IED) s’adresse spécifiquement aux familles qui rencontrent des difficultés éducatives. Parfois, elles ont elles-mêmes demandé un soutien, le plus souvent ce sont les agences départementales de la Solidarité qui mandatent l’IED à fins de “protection administrative des enfants”. Les intervenants offrent un soutien à la parentalité aux domiciles des familles. Un travail qui doit, pour être efficace, être mené avec la participation active des familles. À ce jour une centaine de familles et foyers sont accompagnés sur les deux IED (Espace famille et SOAE).
Durant le premier confinement, l’équipe a dû faire preuve d’une vigilance accrue, les situations de crise, tensions et violences conjugales ayant considérablement augmenté. Elle a surtout été contrainte d’imaginer et mettre en place de nouvelles formes d’interventions. “La plus grande difficulté, explique Sarah de Luyker, éducatrice spécialisée au sein du service IED Espace Famille, fut de passer d’actions sur le terrain, à un suivi indirect puisqu’habituellement nous faisons un travail de proximité. Nous avons donc développé des outils nouveaux, propres au télétravail. Par exemple, des rendez-vous téléphoniques hebdomadaires, des jeux interactifs, des envois de cahiers de jeux éducatifs, l’utilisation de logiciels de dessin en ligne, des jeux en visioconférence où nos éducateurs apprenaient à construire aux enfants des cabanes de salon, etc.” Dans ce contexte nouveau, les équipes éducatives se sont aussi chargées d’épauler les publics dans leurs démarches administratives et médicales. Elles ont notamment fait le lien avec différents organismes : établissements scolaires, médecins, assistantes sociales, avocats, Services Territoriaux Éducatifs de Milieu Ouvert, l’Association pour la Protection de l’Enfance et de l’Adolescence.
INVENTER DE NOUVELLES SOLIDARITÉS
Valérie Jourdan éducatrice spécialisée de l’IED Espace Famille se félicite que l’équipe ait réussi “à créer de nouvelles règles et modalités d’intervention tout en continuant d’offrir les mêmes services. Une solidarité renforcée s’est installée aussi bien en direction des publics que nous accompagnons, qu’entre collègues”. Catherine Muller, psychologue du Service, ajoute que le confinement a même parfois facilité les échanges avec des familles jusqu’alors réticentes, pour certaines, à entamer un accompagnement psychologique. “Je les appelais en leur disant : “tout le monde souffre en ce moment, je viens prendre de vos nouvelles”. Échanger par téléphone est parfois plus facile pour amorcer un travail sur soi. De nombreuses familles ont ainsi pu se rendre compte des bienfaits de cette approche et ce sont aujourd’hui elles qui sont demandeuses”. D’autres missions ont toutefois dû se poursuivre en présentiel. Ce fut notamment le cas lorsque les situations familiales tendues nécessitaient une visite à domicile pour éviter qu’elles ne deviennent critiques.
De son côté, Christine Deitsch, responsable du pôle parentalité à l’Espace Famille, ajoute aussi que les équipes éducatives des services de visites en présence d’un tiers et de l’Espace de Rencontres ont continué à exercer leurs missions tout en ayant fermé leurs locaux au public. L’une des particularités, et non des moindres, de cette période, c’est que les professionnels et les familles se sont retrouvés dans des situations similaires avec des problématiques communes. Les uns et les autres étaient confinés avec des enfants à la maison à qui il fallait faire la classe, ou bien étaient esseulés, en difficulté relationnelle sociale… “Les langues se sont déliées, car nous partagions une même réalité, analyse Sarah de Luyker. Cela a favorisé l’émergence d’un lien de confiance nouveau. En fait, cela a bouleversé positivement les relations éducatives entre les familles et nous. Au final, cela a permis un questionnement profond sur les relations familiales, professionnelles et même à dimension existentielle, comme notre rapport à la vie et à la mort”.
Un sentiment d’égalité qui a rééquilibré des rapports souvent perçus comme asymétriques par les familles. “Généralement, confirme Sarah De Luycker, les familles nous perçoivent comme ‘donneurs’ et eux se voient comme des ‘preneurs’”. Pourtant, tout le travail effectué à l’IED est justement de déconstruire cette hiérarchie et de permettre aux parents accompagnés de déculpabiliser pour rentrer dans le champ de la responsabilité. Les différents confinements auront accéléré cette prise de conscience et l’équilibre des compétences afin d’aller vers une véritable collaboration”.
DANS LE SERVICE IED DU POLE PROTECTION DE L’ENFANCE SOAE DE BEZIERS
Cette mise en place de nouveaux outils, mais aussi l’émergence de nouvelles relations avec les publics accompagnés, le Service d’Observation et d’Action Éducative (SOAE) situé à Béziers les a, lui aussi, vécues.
Le SOAE dispose d’une double habilitation du Ministère de la Justice et du Conseil Départemental. Il est composé de plusieurs dispositifs de Maisons d’Enfants à Caractère Social, qui accueillent des enfants et des jeunes confiés par la justice, d’un service de soutien à la parentalité et de services de milieu ouvert (investigation, assistance éducative judiciaire, et assistance éducative administrative).
Ici aussi, des initiatives originales ont été lancées dans l’urgence imposée par les circonstances. Mais, de ces contraintes, les acteurs ont fait une force.
Cédric Vareilhes, son directeur, indique ainsi que des partenariats nouveaux ont vu le jour. Beaucoup ayant montré leur pertinence, devraient être pérennisés une fois la crise passée. “Par exemple, illustre-t-il, à l’initiative du département et avec le soutien de l’Éducation nationale, deux enseignants ont été détachés et mis à disposition pour assurer le suivi scolaire des enfants accueillis dans nos MECS durant le confinement. C’est une collaboration inédite, extrêmement positive qui perdurera sous une autre forme”. Différentes structures comme la Fondation de France ou la fondation de lutte contre la précarité, Break Poverty, ont, quant à elles, généreusement offert 5 000 masques lors du premier confinement et 10 ordinateurs pour que les enfants des MECS puissent réaliser leurs devoirs et communiquer avec leurs familles.
Marie-Claude Azzoune, éducatrice spécialisée dans l’intervention éducative à domicile, explique, elle, avoir dû réinventer modalités d’accompagnement, “notamment faire le lien entre les établissements scolaires parce que certaines familles sont sous-équipées en matériel informatique. Il nous a aussi fallu mobiliser certains parents afin qu’ils remettent leurs enfants à l’école à la sortie du confinement”.
Les liens entre les Juges des Enfants et les services du SOAE ont aussi été renforcés. “Chaque jour, week-end y compris, explique Cédric Vareilhes, des échanges avaient lieu, soit pour maintenir une vigilance mutualisée, soit pour réaliser une mise en protection d’urgence des enfants”.
La crise sanitaire, les confinements, les mesures de distanciation… tout, a priori, plaidait pour une désorganisation des équipes, des dysfonctionnements, des réponses à minima… C’est le contraire qui s’est passé. Portées par des valeurs fortes et la volonté de soutenir plus que jamais les publics fragiles dont elles ont la charge, les équipes de l’Adages ont démontré leur efficacité et leur adaptabilité.
Les services ne sont pas tous aussi à l’aise pour travailler en distanciel. Néanmoins, le bilan est globalement positif et surtout il a permis de mettre à jour de nouvelles façons de répondre aux besoins des familles. “Il est encore trop tôt pour tirer le bilan, conclut Frédéric Hoibian, directeur d’Adages, car nous sommes encore dans la tempête. Même si tout ce qui a été mis en place ne sera pas pérenne, tout aura été facteur d’enrichissements de nos pratiques, de réflexions sur nos manières d’agir”.
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